Interview
- Rencontre avec Loïc, passionné de randonnée.
- Ses premières grandes randonnées.
- Pourquoi avoir choisi Te Araroa ?
- La difficulté et l'état des pistes.
- Les épreuves et les dangers à affronter.
- Les impressions à la fin du voyage.
- Des rencontres inoubliables.
- Quel est le niveau requis pour réussir Te Araroa ?
- Et si tout était à refaire ?
Rencontre avec Loïc, passionné de randonnée.
L'interview de Loïc était prévue bien avant son départ pour la Nouvelle-Zélande. Je me demandais à l'époque s'il irait au bout de son rêve. Après tout, il n'est pas donné à tout le monde de parcourir plus de 3000 km à pied... Et pourtant, Loïc a réussi son pari et voici l'interview tant attendue !
Guillaume : Peux-tu te présenter s'il te plaît aux lecteurs de Kiwipal ?
Loïc : Je m'appelle Loïc Jaffro, j'ai 31 ans. J'ai grandi en Picardie, à St Quentin dans l'Aisne. J'ai fait de longues études avec classe préparatoire et deux Écoles d'Ingénieur. L'une en Physique-Chimie (ESPCI), l'autre comme ingénieur de l'Environnement (ENGREF – École de ministère de l'Environnement). J'ai travaillé comme ingénieur Recherche & développement. J'ai craqué très vite. Je ne supportais pas la vie de rat de laboratoire.
Guillaume : Comment as-tu résolu ce problème ?
Loïc : Je suis parti en Afrique de l'Ouest, en Sierra Leone, bien après la guerre civile, et bien avant l'épidémie d'Ebola. Dans une région très isolée pour travailler avec une petite ONG, faire de l'accès à l'eau potable et à l'assainissement, mais principalement de l'éducation populaire villageoise autour de la gestion de l'accès à l'eau et aux pratiques d'hygiène. Rentré en France après cette expérience, j'ai décidé de passer une année à vivre ma passion : l'éducation populaire auprès des enfants. Principalement les primaires. J'ai passé une année à diriger des séjours de vacances et intervenir sur des classes de découverte. Sur des thèmes liés aux sciences ou à l'environnement.
Guillaume : C'était juste temporaire ?
Loïc : Je pensais faire cela une année... cela fait six ans maintenant que je ne fais plus que ça. Je suis désormais Éducateur à l'Environnement pour la Ligue de l'Enseignement, une partie de l'année, une autre partie de l'année, j'ai monté des séjours de vacances “Sciences amusantes” et “Astronomie”. Quand je ne travaille pas, je suis au grand air, dans la nature, à pied, en randonnée, en VTT, dans la montagne, à faire de l'escalade... à découvrir le monde. Je n'ai pas grandi à la montagne, mais c'est l'environnement qui me convient le mieux. Je m'y sens chez moi.
Ses premières grandes randonnées.
Je confesse une certaine admiration pour ces personnes capables de chuter et de se relever aussitôt avec une détermination intacte et une volonté farouche de repartir aussitôt à l'aventure. Le parcours de Loïc illustre parfaitement cet état d'esprit.
Guillaume : Comment as-tu abordé la grande randonnée ?
Loïc : Ma première expérience de grande randonnée fut la traversée de Pyrénées d'ouest en est, d'Hendaye à Mérens sur le GR10. Je n'avais jamais vraiment randonné avant. Mais je l'ai fait, avec du matériel inadapté, trop lourd, parfois inutile. L'année suivante, j'ai traversé les Alpes sur le GR5. L'année encore suivante, j'ai fait le tour de la Bretagne par le GR34, ou sentier des douaniers, du Mont St Michel à Brest. Ayant fait un peu le tour des longs sentiers, j'ai ensuite fait des boucles dans les Alpes: le Tour des Écrins, le Tour du Queyras.
Guillaume : Toujours en France donc, et à l'étranger ?
Loïc : Je faisais ça à la fin de l'été, mais je cherchais où passer l'hiver au soleil. Il y a 2 ans et demi, je suis allé faire de la randonnée durant l'hiver aux Antilles. En Guadeloupe, j'ai eu un accident grave, en bord de mer, lors d'une randonnée : une énorme série de vague m'a jeté sur les rochers coralliens.
Guillaume : C'est un coup à y passer, tu étais complètement isolé ?
Loïc : Sans couverture téléphonique, à 3 h de marche de la première route, j'ai du faire les premiers secours moi-même et attendre longtemps les secours. Au bilan : une évacuation en hélicoptère, une épaule cassée, de très nombreuses plaies, dont certaines profondes proches de la colonne vertébrale, et de très nombreuses sur le crane... près d'une trentaine de points de suture, juste sur la tête... et je ne compte pas le reste.
Guillaume : J'imagine qu'on n'envisage plus la randonnée ou même la vie en général après une telle épreuve.
Loïc : Cette expérience m'a fait prendre conscience de trois choses. Premièrement, la vie est fragile et il suffit d'un rien pour qu'elle bascule. C'est une chance d'être en bonne santé et sur ses deux jambes. Deuxièmement, j'ai découvert en moi une pulsion de vie que j'ignorais tandis que je me portais secours en attendant de recevoir de l'aide. Que je peux endurer et faire bien plus que je ne le pensais. Troisièmement, il ne faut pas attendre que le temps passe, remettre à plus tard, espérer que d'autres s'invitent ou nous invitent à réaliser nos rêves. Il faut vivre ici et maintenant.
Pourquoi avoir choisi Te Araroa ?
Se lancer à l'aventure sur les pistes de Te Araroa n'est pas une décision à prendre à la légère. Le sentier n'est ouvert que depuis quelques années et les témoignages pourtant indispensables pour préparer un tel le voyage sont encore rares. Fort heureusement, voilà exactement le challenge qui convenait à Loïc.
Guillaume : L'appel de la randonnée s'est manifesté à nouveau au bout de combien de temps ?
Loïc : Après mon accident où il m'a fallu trois mois pour redevenir “indépendant”, suivis de trois mois de “déprime” (sûrement post traumatique), j'ai mis plusieurs mois à retrouver une bonne forme physique. J'ai décidé de me lancer des défis. J'ai cherché où partir durant l'hiver à venir. J'ai cherché les “randonnées” au long court les plus longues ou les plus difficiles.
Guillaume : Tu as tout de suite pensé à la Nouvelle-Zélande ?
Loïc : Les grands Trail Trans-Américains m'ont tapé dans l'œil, mais étant dans l'hémisphère nord, cela ne me permettait pas de fuir l'hiver européen. J'ai alors découvert le sentier du Te Araroa tout juste inauguré, en décembre 2011 (nous étions alors en 2013). Cette année-là, il était un peu trop tard dans l'année pour attaquer le sentier l'hiver suivant, car il faut du temps pour préparer un tel périple et mettre de l'argent de côté.
Guillaume : Qu'est-ce qui t'attirait dans l'idée de suivre Te Araroa ?
Loïc : J'ai tout de suite aimé l'idée d'un sentier d'une telle longueur, tout juste créé et parcouru jusque là par très peu de personnes. C'était un défi fait pour moi : quatre à six mois de marche, la nécessité d'être totalement autonome sur de longues sections, l'absence marquée de civilisation et même de réseau téléphonique, une météo brutale... Bref une aventure encore plus sauvage que ce que j'avais fait jusque là en randonnée ! Mais j'étais sûr de moi et convaincu de pouvoir réaliser ce défi.
La difficulté et l'état des pistes.
La beauté des paysages de Nouvelle-Zélande vous pousse naturellement à dépasser vos limites. Mais les difficultés ne manquent pas sur un itinéraire de plusieurs milliers de kilomètres ! Et de la carte postale à la réalité, il faut s'attendre à faire face à l'imprévu tous les jours.
Guillaume : Quel est l'état réel de Te Araroa, l'itinéraire est-il vraiment praticable dans sa totalité ?
Loïc : Le sentier est totalement praticable. La partie sur l'île du nord est la plus récente. Il y a donc des sections dont le tracé fait encore l'objet de négociation avec les propriétaires et les éleveurs. Des modifications chaque année visent à supprimer les derniers kilomètres sur route. Les pistes sont praticables dans la mesure où la cartographie est claire, le balisage existant, bien que parfois très distant (plusieurs centaines de mètres sur l'île du Sud).
Guillaume : Présenté comme cela, c'est plutôt rassurant...
Loïc : D'année en année, cela s'améliore et ça n'ira que de mieux en mieux. Mais il faut juste complètement changer sa vision de la randonnée et oublier les marquages réguliers, les sentiers entretenus, les ponts pour traverser les cours d'eau...
Guillaume : Il faut malgré tout être entraîné et posséder une solide expérience de la grande randonnée ?
Loïc : Une bonne partie du sentier est classé en “tramping track”, ce qui en nouvelle Zélande signifie qu'il faut être totalement autonome quant à l'orientation, les aléas météo, les difficultés physiques, les premiers soins en cas d'accident. Vous pourrez être coincés plusieurs jours par la pluie, en refuge ou sous tente. Passer des journées entières avec de l'eau dans les chaussures, traverser sans cesse des cours d'eau, lutter dans la boue contre les lianes et les racines, dans les forêts.
Guillaume : À ce rythme-la on n'avance pas !
Loïc : Environ 1 ou 2 km par heure seulement, mais c'est tout à fait praticable, même s'il faut être vigilant, en bonne condition physique et vigilance constante vis-à-vis de la sécurité et l'orientation. Il n'y a pas d'équivalent en France où nos sentiers sont de véritables autoroutes comparées à Te Araroa. Cela se rapprocherait davantage d'un Cross country où quelqu'un serait passé juste avant pour poser des marques sur les arbres.
Les épreuves et les dangers à affronter.
La plupart des grandes randonnées comportent leur lot de surprises, bonnes ou mauvaises. Loïc ayant marché durant une centaine de jours, j'étais certain qu'il aurait affronté au moins une difficulté majeure, mais je ne m'attendais pas à ce qu'il ait pu vivre une situation véritablement dangereuse. Et pourtant ...
Guillaume : Peux-tu nous raconter la plus grosse galère qui te soit arrivée durant ton voyage ?
Loïc : À quelques dizaines de kilomètres au nord-est de Levin, sur l'île du nord, le jour où je franchissais les premiers 1500 km (la moitié du périple), la météo qui prévoyait pourtant un temps clément s'est rapidement détériorée.
Guillaume : On rappellera au passage que la météo néo-zélandaise est connue pour son instabilité. On dit souvent peut avoir la sensation de vivre plusieurs saisons dans une même journée ?
Loïc : Le vent a soufflé en tempête en fin d'après midi. Il s'est mis à pleuvoir en torrent en début de soirée et toute la nuit. Le lendemain matin, la pluie avait cessé, mais les cours d'eau en crue avaient monté de quelques mètres pour certains. Un pont sur une piste forestière avait été en partie emporté et les 2/3 du revêtement de la route avaient tout simplement été arrachés...
Guillaume : Quelles étaient tes options ?
Loïc : Je me trouvais dans des gorges où de nombreuses rivières croisaient le sentier. J'étais engagé sur cette section depuis près de deux jours alors j'ai continué de marcher. Dès la première traversée de rivière, j'ai compris que la journée allait être difficile. Le torrent était impressionnant, mais pas infranchissable. Il m'a fallu étudier le meilleur endroit où traverser. Préparer le sac à dos pour ne rien mouiller ou perdre au cas où et ne garder sur moi que le strict nécessaire si le courant devait m'emporter : la balise de secours, mon couteau et de quoi allumer un feu, un sifflet et une couverture de survie.
Guillaume : Pour ceux qui nous lisent, je rappelle que franchir une rivière en crue vous met potentiellement en danger de mort, et que des voyageurs y ont déjà laissé la vie.
Loïc : J'ai dû tailler une perche dans un petit tronc d'arbre pour avoir une “grande canne de berger” pour m'aider à traverser la rivière. Le courant était très fort et c'était très dangereux. Il m'a fallu une heure de temps, de réflexion, de préparation pour traverser ce premier torrent. Après quelques kilomètres dans la forêt boueuse, je suis arrivé face à la rivière principale, elle aussi en crue.
Guillaume : Scénario décourageant, d'autant que tu avais dû déjà laisser des forces durant ta première traversée.
Loïc : Le sentier en temps normal, vous impose de mettre les pieds dans l'eau et remonte le cours d'eau, passant d'une rive à l'autre, empruntant le lit de la rivière... ceci sur près d'une dizaine de kilomètres. Mais ce jour-là, la rivière était bien plus haute qu'en temps normal. J'ai dû trouver où pouvoir traverser là où il y avait le moins de fond et de courant. Redescendre une berge, descendre mon sac à dos avec de la paracorde... et ce n'était que la seconde traversée !
Guillaume : Mais à ce stade, tu n'as déjà plus vraiment le choix...
Loïc : En 5 h de marche je n'avais parcouru que 6 km. Il m'en restait une dizaine, uniquement dans la rivière ! Il n'y avait que deux options possibles : soit faire demi-tour, et donc remarcher deux jours durant dans l'autre sens (ce qui devait me refaire traverser les deux cours d'eau précédents), ou bien trouver une sortie de secours pour m'extraire des gorges.
Guillaume : Et donc improviser seul au milieu de nulle part...
Loïc : J'ai cherché sur la carte un moyen de quitter la vallée. J'ai pu trouver une toute petite piste, qui remontait raide dans la pente. Le temps était à la pluie. Il fallait absolument quitter ces gorges. Comme tu le disais, tous les ans, de nombreux accidents impliquent des randonneurs et des cours d'eau en crue. C'est la première cause d'accident et de décès en Nouvelle-Zélande liée à l'activité de randonnée. Cela m'a pris l'après-midi pour m'extraire de ces gorges et trouver un chemin pour passer de l'autre côté de la montagne. Ce fut la journée la plus dangereuse de toute l'aventure.
Les impressions à la fin du voyage.
Je pensais que l'on pouvait comparer Te Araroa à une course d'endurance, mais l'expérience de Loïc m'a permis de comprendre que le véritable enjeu se situe ailleurs.
Guillaume : Peux-tu nous raconter tes impressions, le dernier jour avant d'atteindre la fin du parcours ?
Loïc : Dans la dernière cabane (refuge) du sentier, une centaine de kilomètres avant la “fin” officielle, le livre d'or dans lequel chacun note son passage est rempli de confessions des précédents randonneurs approchant du but. Tous, moi compris, ressentions le même sentiment : Ne pas avoir envie de finir, d'avoir été trop vite, de pouvoir et de vouloir encore marcher, de continuer, de ne pas arriver au bout... et envisager carrément de faire demi-tour pour reprendre le sentier en sens inverse.
Guillaume : Il n'y avait pas l'envie de passer à autre chose, de pouvoir tout simplement se poser quelque part ?
Loïc : Marcher quatre à six mois, dans la nature, avec soi-même, permet de découvrir une relation au monde et à soi même totalement singulière. C'est cet état de conscience que l'on veut faire durer. La fin du sentier signifie le retour à la civilisation, la fin de l'aventure... la peur de voir disparaître en nous l'état d'esprit que l'on s'est forgé. J'étais convaincu que j'allais vivre une marée de sentiment en touchant au but: tout d'abord exulter de joie, fier d'avoir atteint mon objectif, d'avoir surpassé les difficultés, sauter, crier de joie.... mais sentir un grand vide en moi, s'asseoir face à la mer et pleurer... d'avoir a quitter l'aventure... de ne pas pouvoir continuer, aller plus loin.
Guillaume : L'expérience se suffisait à elle même...
Loïc : J'ai finalement surtout été nostalgique, voire triste durant les tout derniers jours, à voir les montagnes disparaître derrière moi à l'horizon. Les derniers jours te refont traverser une longue forêt humide et boueuse... avant de retomber sur une très longue plage de sable et étrangement cela ressemblait au tout début de l'aventure, comme si on passait le film à l'envers, mais les dizaines de kilomètres sur le sable sont toujours éreintant... En arrivant à Invercargill, il ne restait que 25 km avant Bluff, mais ces 25 km longent une route (la SH1), l'équivalent d'une nationale ou d'une petite autoroute.
Guillaume : C'est plutôt décevant, même si comme tu l'as dit, les négociations en cours visent à supprimer ces passages désagréables.
Loïc : C'est absolument horrible comme dernière section. On prend la civilisation en pleine figure, dans le bruit et l'odeur des moteurs, et le danger bien réel d'un bord de route. J'ai fait deux jours de pause à Invercargill... et décidé de ne pas faire les derniers kilomètres pour Bluff...
Guillaume : Pourquoi n'avoir pas voulu franchir la ligne d'arrivée ?
Loïc : J'ai réalisé que ce n'était pas important d'y aller pour prendre uniquement une “photo Finish” sous un panneau. J'ai réalisé que l'important ce n'était pas de finir une telle aventure. Ce qui importait n'était en rien de finir les quelques derniers kilomètres en bord de route... la seule chose qui importait était tout ces kilomètres et ces journées passées, ces cent jours de marche, ces quatre mois écoulés. La seule chose qui comptait était d'avoir arpenté le chemin, et non d'arriver au bout.
Guillaume : Mais tu devais tout de même ressentir une grande satisfaction...
Loïc : Je n'ai pas ressenti d'effusion de joie. Ces 3000 km n'ont pas été un chemin de croix et je n'ai jamais véritablement souffert, jamais eut de blessure, ni même une ampoule aux pieds. Ce n'était pas un soulagement que de finir. Et ce n'était finalement pas non plus un élan de tristesse. J'avais réalisé mon objectif, cela faisait plus d'un an et demi que j'y pensais, que je le préparais.
Guillaume : On peut mettre cela sur le compte d'une préparation et d'un entraînement très complet, j'imagine...
Loïc : Dès le début de l'aventure, je m'étais fait une projection claire de ce périple, me voyant passer les différents endroits et difficultés. Ce que j'ai ressenti finalement fut une sérénité, un calme et un relâchement complet. Se retrouver cinq mois seul avec soi-même dans la nature, à marcher cent jours, à raison de 8 à 12 h par jour... je crois que ce fut en fait 5 mois de méditation active, à trouver ma place face à moi-même, dans la nature, sans rien d'autre que moi et le reste du monde... une prise de conscience de ma place au sein de celui-ci : la sensation que je ne suis que la simple expression de la vie, sans séparation, ni frontière entre moi et le reste de l'univers. La simple expression de la vie comme une feuille sur un arbre, les nuages dans le ciel. Un avec l'univers. J'étais bien. J'étais juste moi.
Des rencontres inoubliables.
Après avoir évoqué les difficultés, il était naturel de parler également des bons souvenirs (qui sont fort heureusement les plus nombreux). J'ai coutume de dire que l'on vient en Nouvelle-Zélande pour ses paysages, mais que ce sont les habitants du pays qui vous touchent le plus. Loïc est bien placé pour vous en parler.
Guillaume : Sur le plan humain, quelle fut ta plus belle rencontre en Nouvelle-Zélande ?
Loïc : Difficile de décider. Chaque rencontre est différente. De la personne que l'on croise un bref instant sur le chemin, au voisin sur un camping avec qui l'on passe la nuit à discuter... Ceux qui ont marché quelques jours à mes côtés... Tous les PVTistes, qui cherchent à découvrir le monde et se trouver... les rencontres brèves qu'on aurait aimé voir durer...
Guillaume : Mais si tu devais vraiment choisir ?
Loïc : Puisqu'il faut choisir, je dirais: Maria et Andreas, deux allemands, que j'avais rencontré au tout début de l'aventure, dans les forêts subtropicales de l'île du nord, que j'ai retrouvé au sommet de Pironga, près d'Hamilton, et que nous avons été bloqués 24 h durant par la tempête, et avec qui j'ai gardé contact durant tout le périple même lorsqu'ils ils étaient loin derrière moi par la suite... Tout d'abord parce qu'ils sont deux personnes très spéciales, très différentes, mais dont j'ai trouvé qu'ils allaient très bien ensemble... que je trouvais leur relation belle... Et eux aussi d'ailleurs. Andreas ayant demandé à Maria de se fiancer, durant le Te Araroa, durant la traversée des Richmond ranges, une des sections les plus impressionnantes, voire dangereuse... après 1800km à marcher ensemble... J'ai trouvé ça beau, et bien tourné de faire une telle demande en haut d'une montagne. Ça doit être très riche et très fort de partager une telle aventure avec une personne que l'on aime, ça sort de l'ordinaire et des relations “métro-boulot-dodo”, ça doit être passionnant !
Quel est le niveau requis pour réussir Te Araroa ?
À lire le témoignage de Loïc, on prend soudainement conscience de la somme d'efforts considérables qu'impose une randonnée aussi exigeante. Comme la plupart des lecteurs de Kiwipal, je me suis alors demandé si je serais un jour en mesure d'affronter un tel voyage.
Guillaume : En toute franchise, est-ce que tu as envisagé parfois d'abandonner ?
Loïc : Non, j'ai construit ma personnalité autour du principe que lorsque je me fixe un objectif, lorsque je me dis ou que je décide quelque chose, alors je vais jusqu'au bout. Quelles que soient les difficultés. C'est une façon de voir la vie. Une façon d'être. Une sorte de cohérence entre ma pensée et mes actes. La nécessité de tenir ses propres promesses, une valeur associée à la parole donnée.
Guillaume : En définitive, quel serait selon toi le profil type pour être capable de suivre Te Araroa en entier ?
Loïc : J'ai rencontré des gens très différents. Certains avaient plus de soixante-dix ans d'autres à peine vingt. Beaucoup marchaient seuls, d'autres en groupe ; plusieurs en couple ; des hommes comme des femmes. Certains expérimentés, d'autres totalement néophytes. Des puristes comme moi qui marchaient chaque kilomètre, d'autres qui tendaient le pouce dès qu'ils arrivaient sur une route. Ceux qui ne marchaient que sur le sentier et d'autres qui faisaient des détours pour “visiter”. Ceux qui marchaient plus de 40 km par jour et ceux qui n'en faisaient que 20. Des ultra légers avec un sac à dos de quatre kilos et d'autres qui devaient bien en avoir plus de vingt.
Guillaume : Il n'y a pas de profil type, mais tous ces marcheurs ont sans doute en commun des capacités similaires, à commencer par la volonté...
Loïc : Je crois que chacun d'entre nous a une approche et une histoire du Te Araroa qui lui est propre. Chacun vit sa propre aventure. Je sais que nombreux sont ceux qui commencent au Cap Reinga avec pour projet de faire le sentier dans son intégralité, et qui après quelques jours abandonnent, car ils ne se sentent finalement pas faits pour ça : mal équipé, mal chaussé, portant trop lourd... mais ce qui pousse surtout à arrêter l'aventure (nonobstant les blessures), c'est une disposition d'esprit qui n'est pas apte à supporter les exigences de Te Araroa.
Guillaume : Quelle est cette disposition d'esprit qu'il faut posséder pour achever Te Araroa ?
Loïc : Il faut avoir la capacité à “se perdre” dans la nature, à être seul et en autonomie, bien plus que face aux éléments, à la météo, au terrain. C'est être capable d'être seul face à soi-même, seul avec soi-même. Je connais un nombre considérable de gens autour de moi qui sont incapable d'être seul avec eux-mêmes, se serait-ce que quelques heures, encore moins un week-end. Ils ont besoin de se fuir eux-mêmes, de trouver des distractions. Bien au-delà de la difficulté d'être seul face à la nature, de faire face aux difficultés du terrain ou du sentier, d'avoir le temps libre et les ressources financières pour la durée d'un tel projet, la seule chose qu'il faut pour être capable de réaliser cette aventure, ce qu'elle a de si extraordinaire, ce qu'il faut d'extra-ordinaire c'est d'être en capacité d'être avec soi-même, seul face à soi-même.
Et si tout était à refaire ?
Notre interview touche à sa fin, mais avant de partir j'ai posé quelques questions pratiques à Loïc. Ses réponses vous seront utiles si vous envisagez un jour de tenter l'aventure.
Guillaume : Je termine avec quelques questions pratiques. Peux-tu déjà nous dire quelles sont les différences principales entre l'île du Nord et l'île du Sud au niveau de la randonnée ?
Loïc : L'île du Nord ce sont des forêts que nous appellerons “jungle”, des plages et des sentiers côtiers magnifiques, mais aussi des kilomètres de routes... et la civilisation avec ses inconvénients, mais aussi les rencontres qu'elle permet. L'île du Sud, c'est la solitude, les montagnes, l'autonomie, les refuges perdus, les paysages que nous avons tous en tête en parlant de la Nouvelle-Zélande. L'île du Nord c'est l'échauffement, et l'Île du sud, c'est là que tout commence vraiment !
Guillaume : Si c'était à refaire, que ferais-tu différemment ?
Loïc : Je crois que j'allégerais encore plus mon sac à dos. Pourtant le mien devait peser dix ou onze kilos sans eau et sans nourriture, soit presque deux fois moins que lors de ma toute première expérience dans les Pyrénées.
Guillaume : Quel équipement, quel poids idéal recommanderais-tu ?
Loïc : J'ai marché avec des gens qui passaient sous les 8 kg sur le dos. Des gens qui avaient fait des grands trails aux États unis, des gens pour qui la marche ultra légère est bien plus développée qu'en Europe. C'est une vraie découverte de s'apercevoir que l'on peut se dépouiller de tant de matériel. Certes, il sembler rassurant de conserver tout plein de bazars, mais l'on se sent plus libre et plus proche de la nature avec le strict nécessaire, et par conséquent plus léger et moins fatigué.
Guillaume : Et au niveau du rythme de marche ?
Loïc : Je crois que j'essaierais de marcher moins vite... j'ai accompli les 3000 km du Te Araroa en cent jours de marche. Ce qui est finalement très court. J'aurais dû me calmer un peu... mais il est plus difficile qu'on le pense de ralentir le rythme. J'aurais peut-être dû faire plus de “détours” et sortir du sentier pour effectuer des boucles.
Guillaume : Est-ce que tu as rayé la NZ de tes futures destinations ou bien envisages-tu de revenir un jour ?
Loïc : Je préfère la nouveauté. J'ai découvert qu'il y aurait un sacré bout de temps à passer sur l'île du Sud pour randonner, avec ses paysages magnifiques. Mais à l'heure actuelle alors mon esprit est encore plongé dans cette dernière aventure, à mettre en ligne les photos, monter les vidéos du périple, prochainement à écrire les notes journalières (et peut-être en faire un bouquin... qui sait !) je n'ai pas encore tout à fait fini l'aventure. Lorsque je passerai à autre chose, je sais que je chercherai un nouveau défi ailleurs, différent, plus loin, plus dur, plus long, plus sauvage... plus, plus, plus... quand bien même il y aurait encore bien à faire en Nouvelle-Zélande.
Guillaume : Il faudrait au moins un livre entier pour raconter un tel voyage en détail (je t'encourage à l'écrire), et cette interview n'offre qu'un rapide aperçu de ce que les lecteurs de Kiwipal peuvent retrouver sur ton site personnel. Je les invite d'ailleurs à consulter les liens indiqués ci-dessous pour découvrir des vidéos magnifiques que tu as réalisés durant ton périple. Et je te remercie bien entendu pour cette merveilleuse interview qui donnera à certains l'envie de se lancer à leur tour dans l'aventure !
© Photos copyright Loïc Jaffro.