La piste de Te Araroa passe par le Tongariro Crossing.

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La grande randonnée Te Araroa de Loïc.

Interview

Guillaume Le Nistour, certifié expert par l'office de tourisme
Par Guillaume Poser une question Contact Expert Nouvelle-Zélande

Voici une interview exclusive de Loïc qui a réalisé le Te Araroa de Nouvelle-Zélande et partage son expérience.

Rencontre avec Loïc, passionné de randonnée.

Inaugurée en 2011, Te Araroa Trail est l'une des plus longues pistes de randonnées au monde. L'itinéraire savamment étudié traverse toute la Nouvelle-Zélande du Nord au Sud.
Loïc a parcouru les 3000 km de Te Araroa à pied.

L'interview de Loïc était prévue bien avant son départ pour la Nouvelle-Zélande. Je me demandais à l'époque s'il irait au bout de son rêve. Après tout, il n'est pas donné à tout le monde de parcourir plus de 3000 km à pied... Et pourtant, Loïc a réussi son pari et voici l'interview tant attendue ! 

Guillaume

Guillaume : Peux-tu te présenter s'il te plaît aux lecteurs de Kiwipal ?

Loïc

Loïc : Je m'appelle Loïc Jaffro, j'ai 31 ans. J'ai grandi en Picardie, à St Quentin dans l'Aisne. J'ai fait de longues études avec classe préparatoire et deux Écoles d'Ingénieur. L'une en Physique-Chimie (ESPCI), l'autre comme ingénieur de l'Environnement (ENGREF – École de ministère de l'Environnement). J'ai travaillé comme ingénieur Recherche & développement. J'ai craqué très vite. Je ne supportais pas la vie de rat de laboratoire.

Guillaume

Guillaume : Comment as-tu résolu ce problème ?

Loïc

Loïc : Je suis parti en Afrique de l'Ouest, en Sierra Leone, bien après la guerre civile, et bien avant l'épidémie d'Ebola. Dans une région très isolée pour travailler avec une petite ONG, faire de l'accès à l'eau potable et à l'assainissement, mais principalement de l'éducation populaire villageoise autour de la gestion de l'accès à l'eau et aux pratiques d'hygiène. Rentré en France après cette expérience, j'ai décidé de passer une année à vivre ma passion : l'éducation populaire auprès des enfants. Principalement les primaires. J'ai passé une année à diriger des séjours de vacances et intervenir sur des classes de découverte. Sur des thèmes liés aux sciences ou à l'environnement.

Guillaume

Guillaume : C'était juste temporaire ?

Loïc

Loïc : Je pensais faire cela une année... cela fait six ans maintenant que je ne fais plus que ça. Je suis désormais Éducateur à l'Environnement pour la Ligue de l'Enseignement, une partie de l'année, une autre partie de l'année, j'ai monté des séjours de vacances “Sciences amusantes” et “Astronomie”. Quand je ne travaille pas, je suis au grand air, dans la nature, à pied, en randonnée, en VTT, dans la montagne, à faire de l'escalade... à découvrir le monde. Je n'ai pas grandi à la montagne, mais c'est l'environnement qui me convient le mieux. Je m'y sens chez moi.

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Ses premières grandes randonnées.

Pour espérer venir à bout d'une grande randonnée et ne pas abandonner en cours de route, il est recommandé de s'entraîner au préalable, ne serait-ce que pour savoir se servir correctement de son matériel et savoir allumer un feu.
Loïc avait déjà une véritable expérience de la randonnée.

Je confesse une certaine admiration pour ces personnes capables de chuter et de se relever aussitôt avec une détermination intacte et une volonté farouche de repartir aussitôt à l'aventure. Le parcours de Loïc illustre parfaitement cet état d'esprit.

Guillaume

Guillaume : Comment as-tu abordé la grande randonnée ?

Loïc

Loïc : Ma première expérience de grande randonnée fut la traversée de Pyrénées d'ouest en est, d'Hendaye à Mérens sur le GR10. Je n'avais jamais vraiment randonné avant. Mais je l'ai fait, avec du matériel inadapté, trop lourd, parfois inutile. L'année suivante, j'ai traversé les Alpes sur le GR5. L'année encore suivante, j'ai fait le tour de la Bretagne par le GR34, ou sentier des douaniers, du Mont St Michel à Brest. Ayant fait un peu le tour des longs sentiers, j'ai ensuite fait des boucles dans les Alpes: le Tour des Écrins, le Tour du Queyras.

Guillaume

Guillaume : Toujours en France donc, et à l'étranger ?

Loïc

Loïc : Je faisais ça à la fin de l'été, mais je cherchais où passer l'hiver au soleil. Il y a 2 ans et demi, je suis allé faire de la randonnée durant l'hiver aux Antilles. En Guadeloupe, j'ai eu un accident grave, en bord de mer, lors d'une randonnée : une énorme série de vague m'a jeté sur les rochers coralliens.

Guillaume

Guillaume : C'est un coup à y passer, tu étais complètement isolé ?

Loïc

Loïc : Sans couverture téléphonique, à 3 h de marche de la première route, j'ai du faire les premiers secours moi-même et attendre longtemps les secours. Au bilan : une évacuation en hélicoptère, une épaule cassée, de très nombreuses plaies, dont certaines profondes proches de la colonne vertébrale, et de très nombreuses sur le crane... près d'une trentaine de points de suture, juste sur la tête... et je ne compte pas le reste.

Guillaume

Guillaume : J'imagine qu'on n'envisage plus la randonnée ou même la vie en général après une telle épreuve.

Loïc

Loïc : Cette expérience m'a fait prendre conscience de trois choses. Premièrement, la vie est fragile et il suffit d'un rien pour qu'elle bascule. C'est une chance d'être en bonne santé et sur ses deux jambes. Deuxièmement, j'ai découvert en moi une pulsion de vie que j'ignorais tandis que je me portais secours en attendant de recevoir de l'aide. Que je peux endurer et faire bien plus que je ne le pensais. Troisièmement, il ne faut pas attendre que le temps passe, remettre à plus tard, espérer que d'autres s'invitent ou nous invitent à réaliser nos rêves. Il faut vivre ici et maintenant.

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Pourquoi avoir choisi Te Araroa ?

Les refuges (que l'on appelle huts en anglais) sont aménagés pour accueillir les randonneurs et permettent d'avoir un toit pour dormir à défaut d'être véritablement confortables.
Se lancer dans l'aventure demande une préparation sans faille.

Se lancer à l'aventure sur les pistes de Te Araroa n'est pas une décision à prendre à la légère. Le sentier n'est ouvert que depuis quelques années et les témoignages pourtant indispensables pour préparer un tel le voyage sont encore rares. Fort heureusement, voilà exactement le challenge qui convenait à Loïc.

Guillaume

Guillaume : L'appel de la randonnée s'est manifesté à nouveau au bout de combien de temps ?

Loïc

Loïc : Après mon accident où il m'a fallu trois mois pour redevenir “indépendant”, suivis de trois mois de “déprime” (sûrement post traumatique), j'ai mis plusieurs mois à retrouver une bonne forme physique. J'ai décidé de me lancer des défis. J'ai cherché où partir durant l'hiver à venir. J'ai cherché les “randonnées” au long court les plus longues ou les plus difficiles.

Guillaume

Guillaume : Tu as tout de suite pensé à la Nouvelle-Zélande ?

Loïc

Loïc : Les grands Trail Trans-Américains m'ont tapé dans l'œil, mais étant dans l'hémisphère nord, cela ne me permettait pas de fuir l'hiver européen. J'ai alors découvert le sentier du Te Araroa tout juste inauguré, en décembre 2011 (nous étions alors en 2013). Cette année-là, il était un peu trop tard dans l'année pour attaquer le sentier l'hiver suivant, car il faut du temps pour préparer un tel périple et mettre de l'argent de côté.

Guillaume

Guillaume : Qu'est-ce qui t'attirait dans l'idée de suivre Te Araroa ?

Loïc

Loïc : J'ai tout de suite aimé l'idée d'un sentier d'une telle longueur, tout juste créé et parcouru jusque là par très peu de personnes. C'était un défi fait pour moi : quatre à six mois de marche, la nécessité d'être totalement autonome sur de longues sections, l'absence marquée de civilisation et même de réseau téléphonique, une météo brutale... Bref une aventure encore plus sauvage que ce que j'avais fait jusque là en randonnée ! Mais j'étais sûr de moi et convaincu de pouvoir réaliser ce défi.

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La difficulté et l'état des pistes.

Le sentier de Te Araroa passe par les plus beaux paysages de Nouvelle-Zélande. Le célèbre Tongariro Crossing est au programme avec ses paysages volcaniques et ses lacs turquoise.
Te Araroa emprunte le célèbre Tongariro Alpine Crossing.

La beauté des paysages de Nouvelle-Zélande vous pousse naturellement à dépasser vos limites. Mais les difficultés ne manquent pas sur un itinéraire de plusieurs milliers de kilomètres ! Et de la carte postale à la réalité, il faut s'attendre à faire face à l'imprévu tous les jours.

Guillaume

Guillaume : Quel est l'état réel de Te Araroa, l'itinéraire est-il vraiment praticable dans sa totalité ?

Loïc

Loïc : Le sentier est totalement praticable. La partie sur l'île du nord est la plus récente. Il y a donc des sections dont le tracé fait encore l'objet de négociation avec les propriétaires et les éleveurs. Des modifications chaque année visent à supprimer les derniers kilomètres sur route. Les pistes sont praticables dans la mesure où la cartographie est claire, le balisage existant, bien que parfois très distant (plusieurs centaines de mètres sur l'île du Sud).

Guillaume

Guillaume : Présenté comme cela, c'est plutôt rassurant...

Loïc

Loïc : D'année en année, cela s'améliore et ça n'ira que de mieux en mieux. Mais il faut juste complètement changer sa vision de la randonnée et oublier les marquages réguliers, les sentiers entretenus, les ponts pour traverser les cours d'eau...

Guillaume

Guillaume : Il faut malgré tout être entraîné et posséder une solide expérience de la grande randonnée ?

Loïc

Loïc : Une bonne partie du sentier est classé en “tramping track”, ce qui en nouvelle Zélande signifie qu'il faut être totalement autonome quant à l'orientation, les aléas météo, les difficultés physiques, les premiers soins en cas d'accident. Vous pourrez être coincés plusieurs jours par la pluie, en refuge ou sous tente. Passer des journées entières avec de l'eau dans les chaussures, traverser sans cesse des cours d'eau, lutter dans la boue contre les lianes et les racines, dans les forêts.

Guillaume

Guillaume : À ce rythme-la on n'avance pas !

Loïc

Loïc : Environ 1 ou 2 km par heure seulement, mais c'est tout à fait praticable, même s'il faut être vigilant, en bonne condition physique et vigilance constante vis-à-vis de la sécurité et l'orientation. Il n'y a pas d'équivalent en France où nos sentiers sont de véritables autoroutes comparées à Te Araroa. Cela se rapprocherait davantage d'un Cross country où quelqu'un serait passé juste avant pour poser des marques sur les arbres.

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Les épreuves et les dangers à affronter.

La pluie peut générer des crues rapides qui surprennent les randonneurs et les obligent à bouleverser leur itinéraire.
La météo peut bouleverser l'itinéraire et s'avérer dangereuse.

La plupart des grandes randonnées comportent leur lot de surprises, bonnes ou mauvaises. Loïc ayant marché durant une centaine de jours, j'étais certain qu'il aurait affronté au moins une difficulté majeure, mais je ne m'attendais pas à ce qu'il ait pu vivre une situation véritablement dangereuse. Et pourtant ...

Guillaume

Guillaume : Peux-tu nous raconter la plus grosse galère qui te soit arrivée durant ton voyage ?

Loïc

Loïc : À quelques dizaines de kilomètres au nord-est de Levin, sur l'île du nord, le jour où je franchissais les premiers 1500 km (la moitié du périple), la météo qui prévoyait pourtant un temps clément s'est rapidement détériorée.

Guillaume

Guillaume : On rappellera au passage que la météo néo-zélandaise est connue pour son instabilité. On dit souvent peut avoir la sensation de vivre plusieurs saisons dans une même journée ?

Loïc

Loïc : Le vent a soufflé en tempête en fin d'après midi. Il s'est mis à pleuvoir en torrent en début de soirée et toute la nuit. Le lendemain matin, la pluie avait cessé, mais les cours d'eau en crue avaient monté de quelques mètres pour certains. Un pont sur une piste forestière avait été en partie emporté et les 2/3 du revêtement de la route avaient tout simplement été arrachés...

Guillaume

Guillaume : Quelles étaient tes options ?

Loïc

Loïc : Je me trouvais dans des gorges où de nombreuses rivières croisaient le sentier. J'étais engagé sur cette section depuis près de deux jours alors j'ai continué de marcher. Dès la première traversée de rivière, j'ai compris que la journée allait être difficile. Le torrent était impressionnant, mais pas infranchissable. Il m'a fallu étudier le meilleur endroit où traverser. Préparer le sac à dos pour ne rien mouiller ou perdre au cas où et ne garder sur moi que le strict nécessaire si le courant devait m'emporter : la balise de secours, mon couteau et de quoi allumer un feu, un sifflet et une couverture de survie.

Guillaume

Guillaume : Pour ceux qui nous lisent, je rappelle que franchir une rivière en crue vous met potentiellement en danger de mort, et que des voyageurs y ont déjà laissé la vie.

Loïc

Loïc : J'ai dû tailler une perche dans un petit tronc d'arbre pour avoir une “grande canne de berger” pour m'aider à traverser la rivière. Le courant était très fort et c'était très dangereux. Il m'a fallu une heure de temps, de réflexion, de préparation pour traverser ce premier torrent. Après quelques kilomètres dans la forêt boueuse, je suis arrivé face à la rivière principale, elle aussi en crue.

Guillaume

Guillaume : Scénario décourageant, d'autant que tu avais dû déjà laisser des forces durant ta première traversée.

Loïc

Loïc : Le sentier en temps normal, vous impose de mettre les pieds dans l'eau et remonte le cours d'eau, passant d'une rive à l'autre, empruntant le lit de la rivière... ceci sur près d'une dizaine de kilomètres. Mais ce jour-là, la rivière était bien plus haute qu'en temps normal. J'ai dû trouver où pouvoir traverser là où il y avait le moins de fond et de courant. Redescendre une berge, descendre mon sac à dos avec de la paracorde... et ce n'était que la seconde traversée !

Guillaume

Guillaume : Mais à ce stade, tu n'as déjà plus vraiment le choix...

Loïc

Loïc : En 5 h de marche je n'avais parcouru que 6 km. Il m'en restait une dizaine, uniquement dans la rivière ! Il n'y avait que deux options possibles : soit faire demi-tour, et donc remarcher deux jours durant dans l'autre sens (ce qui devait me refaire traverser les deux cours d'eau précédents), ou bien trouver une sortie de secours pour m'extraire des gorges.

Guillaume

Guillaume : Et donc improviser seul au milieu de nulle part...

Loïc

Loïc : J'ai cherché sur la carte un moyen de quitter la vallée. J'ai pu trouver une toute petite piste, qui remontait raide dans la pente. Le temps était à la pluie. Il fallait absolument quitter ces gorges. Comme tu le disais, tous les ans, de nombreux accidents impliquent des randonneurs et des cours d'eau en crue. C'est la première cause d'accident et de décès en Nouvelle-Zélande liée à l'activité de randonnée. Cela m'a pris l'après-midi pour m'extraire de ces gorges et trouver un chemin pour passer de l'autre côté de la montagne. Ce fut la journée la plus dangereuse de toute l'aventure.

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Les impressions à la fin du voyage.

Une petite partie de Te Araroa Trail longe encore le bord des routes. Mais des négociations sont en cours pour limiter ces étapes pénibles, et les supprimer totalement à terme.
Certaines étapes de Te Araroa se déroulent hélas en bord de route.

Je pensais que l'on pouvait comparer Te Araroa à une course d'endurance, mais l'expérience de Loïc m'a permis de comprendre que le véritable enjeu se situe ailleurs.

Guillaume

Guillaume : Peux-tu nous raconter tes impressions, le dernier jour avant d'atteindre la fin du parcours ?

Loïc

Loïc : Dans la dernière cabane (refuge) du sentier, une centaine de kilomètres avant la “fin” officielle, le livre d'or dans lequel chacun note son passage est rempli de confessions des précédents randonneurs approchant du but. Tous, moi compris, ressentions le même sentiment : Ne pas avoir envie de finir, d'avoir été trop vite, de pouvoir et de vouloir encore marcher, de continuer, de ne pas arriver au bout... et envisager carrément de faire demi-tour pour reprendre le sentier en sens inverse.

Guillaume

Guillaume : Il n'y avait pas l'envie de passer à autre chose, de pouvoir tout simplement se poser quelque part ?

Loïc

Loïc : Marcher quatre à six mois, dans la nature, avec soi-même, permet de découvrir une relation au monde et à soi même totalement singulière. C'est cet état de conscience que l'on veut faire durer. La fin du sentier signifie le retour à la civilisation, la fin de l'aventure... la peur de voir disparaître en nous l'état d'esprit que l'on s'est forgé. J'étais convaincu que j'allais vivre une marée de sentiment en touchant au but: tout d'abord exulter de joie, fier d'avoir atteint mon objectif, d'avoir surpassé les difficultés, sauter, crier de joie.... mais sentir un grand vide en moi, s'asseoir face à la mer et pleurer... d'avoir a quitter l'aventure... de ne pas pouvoir continuer, aller plus loin.

Guillaume

Guillaume : L'expérience se suffisait à elle même...

Loïc

Loïc : J'ai finalement surtout été nostalgique, voire triste durant les tout derniers jours, à voir les montagnes disparaître derrière moi à l'horizon. Les derniers jours te refont traverser une longue forêt humide et boueuse... avant de retomber sur une très longue plage de sable et étrangement cela ressemblait au tout début de l'aventure, comme si on passait le film à l'envers, mais les dizaines de kilomètres sur le sable sont toujours éreintant... En arrivant à Invercargill, il ne restait que 25 km avant Bluff, mais ces 25 km longent une route (la SH1), l'équivalent d'une nationale ou d'une petite autoroute.

Guillaume

Guillaume : C'est plutôt décevant, même si comme tu l'as dit, les négociations en cours visent à supprimer ces passages désagréables.

Loïc

Loïc : C'est absolument horrible comme dernière section. On prend la civilisation en pleine figure, dans le bruit et l'odeur des moteurs, et le danger bien réel d'un bord de route. J'ai fait deux jours de pause à Invercargill... et décidé de ne pas faire les derniers kilomètres pour Bluff...

Guillaume

Guillaume : Pourquoi n'avoir pas voulu franchir la ligne d'arrivée ?

Loïc

Loïc : J'ai réalisé que ce n'était pas important d'y aller pour prendre uniquement une “photo Finish” sous un panneau. J'ai réalisé que l'important ce n'était pas de finir une telle aventure. Ce qui importait n'était en rien de finir les quelques derniers kilomètres en bord de route... la seule chose qui importait était tout ces kilomètres et ces journées passées, ces cent jours de marche, ces quatre mois écoulés. La seule chose qui comptait était d'avoir arpenté le chemin, et non d'arriver au bout.

Guillaume

Guillaume : Mais tu devais tout de même ressentir une grande satisfaction...

Loïc

Loïc : Je n'ai pas ressenti d'effusion de joie. Ces 3000 km n'ont pas été un chemin de croix et je n'ai jamais véritablement souffert, jamais eut de blessure, ni même une ampoule aux pieds. Ce n'était pas un soulagement que de finir. Et ce n'était finalement pas non plus un élan de tristesse. J'avais réalisé mon objectif, cela faisait plus d'un an et demi que j'y pensais, que je le préparais.

Guillaume

Guillaume : On peut mettre cela sur le compte d'une préparation et d'un entraînement très complet, j'imagine...

Loïc

Loïc : Dès le début de l'aventure, je m'étais fait une projection claire de ce périple, me voyant passer les différents endroits et difficultés. Ce que j'ai ressenti finalement fut une sérénité, un calme et un relâchement complet. Se retrouver cinq mois seul avec soi-même dans la nature, à marcher cent jours, à raison de 8 à 12 h par jour... je crois que ce fut en fait 5 mois de méditation active, à trouver ma place face à moi-même, dans la nature, sans rien d'autre que moi et le reste du monde... une prise de conscience de ma place au sein de celui-ci : la sensation que je ne suis que la simple expression de la vie, sans séparation, ni frontière entre moi et le reste de l'univers. La simple expression de la vie comme une feuille sur un arbre, les nuages dans le ciel. Un avec l'univers. J'étais bien. J'étais juste moi.

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Des rencontres inoubliables.

Dans certaines régions peu peuplées de Nouvelle-Zélande, le passage d'un voyageur suscite la curiosité des habitants et surtout des enfants.
Les Néo-Zélandais sont connus pour leur sens de l'hospitalité.

Après avoir évoqué les difficultés, il était naturel de parler également des bons souvenirs (qui sont fort heureusement les plus nombreux). J'ai coutume de dire que l'on vient en Nouvelle-Zélande pour ses paysages, mais que ce sont les habitants du pays qui vous touchent le plus. Loïc est bien placé pour vous en parler.

Guillaume

Guillaume : Sur le plan humain, quelle fut ta plus belle rencontre en Nouvelle-Zélande ?

Loïc

Loïc : Difficile de décider. Chaque rencontre est différente. De la personne que l'on croise un bref instant sur le chemin, au voisin sur un camping avec qui l'on passe la nuit à discuter... Ceux qui ont marché quelques jours à mes côtés... Tous les PVTistes, qui cherchent à découvrir le monde et se trouver... les rencontres brèves qu'on aurait aimé voir durer...

Guillaume

Guillaume : Mais si tu devais vraiment choisir ?

Loïc

Loïc : Puisqu'il faut choisir, je dirais: Maria et Andreas, deux allemands, que j'avais rencontré au tout début de l'aventure, dans les forêts subtropicales de l'île du nord, que j'ai retrouvé au sommet de Pironga, près d'Hamilton, et que nous avons été bloqués 24 h durant par la tempête, et avec qui j'ai gardé contact durant tout le périple même lorsqu'ils ils étaient loin derrière moi par la suite... Tout d'abord parce qu'ils sont deux personnes très spéciales, très différentes, mais dont j'ai trouvé qu'ils allaient très bien ensemble... que je trouvais leur relation belle... Et eux aussi d'ailleurs. Andreas ayant demandé à Maria de se fiancer, durant le Te Araroa, durant la traversée des Richmond ranges, une des sections les plus impressionnantes, voire dangereuse... après 1800km à marcher ensemble... J'ai trouvé ça beau, et bien tourné de faire une telle demande en haut d'une montagne. Ça doit être très riche et très fort de partager une telle aventure avec une personne que l'on aime, ça sort de l'ordinaire et des relations “métro-boulot-dodo”, ça doit être passionnant !

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Quel est le niveau requis pour réussir Te Araroa ?

Pour réussir à boucler une grande randonnée comme Te Araroa en Nouvelle-Zélande, la condition physique ne suffit pas et il faut aussi posséder un moral à tout épreuve pour faire face à l'imprévu.
Au-delà de la condition physique, Te Araroa est un état d'esprit.

À lire le témoignage de Loïc, on prend soudainement conscience de la somme d'efforts considérables qu'impose une randonnée aussi exigeante. Comme la plupart des lecteurs de Kiwipal, je me suis alors demandé si je serais un jour en mesure d'affronter un tel voyage. 

Guillaume

Guillaume : En toute franchise, est-ce que tu as envisagé parfois d'abandonner ?

Loïc

Loïc : Non, j'ai construit ma personnalité autour du principe que lorsque je me fixe un objectif, lorsque je me dis ou que je décide quelque chose, alors je vais jusqu'au bout. Quelles que soient les difficultés. C'est une façon de voir la vie. Une façon d'être. Une sorte de cohérence entre ma pensée et mes actes. La nécessité de tenir ses propres promesses, une valeur associée à la parole donnée.

Guillaume

Guillaume : En définitive, quel serait selon toi le profil type pour être capable de suivre Te Araroa en entier ?

Loïc

Loïc : J'ai rencontré des gens très différents. Certains avaient plus de soixante-dix ans d'autres à peine vingt. Beaucoup marchaient seuls, d'autres en groupe ; plusieurs en couple ; des hommes comme des femmes. Certains expérimentés, d'autres totalement néophytes. Des puristes comme moi qui marchaient chaque kilomètre, d'autres qui tendaient le pouce dès qu'ils arrivaient sur une route. Ceux qui ne marchaient que sur le sentier et d'autres qui faisaient des détours pour “visiter”. Ceux qui marchaient plus de 40 km par jour et ceux qui n'en faisaient que 20. Des ultra légers avec un sac à dos de quatre kilos et d'autres qui devaient bien en avoir plus de vingt.

Guillaume

Guillaume : Il n'y a pas de profil type, mais tous ces marcheurs ont sans doute en commun des capacités similaires, à commencer par la volonté...

Loïc

Loïc : Je crois que chacun d'entre nous a une approche et une histoire du Te Araroa qui lui est propre. Chacun vit sa propre aventure. Je sais que nombreux sont ceux qui commencent au Cap Reinga avec pour projet de faire le sentier dans son intégralité, et qui après quelques jours abandonnent, car ils ne se sentent finalement pas faits pour ça : mal équipé, mal chaussé, portant trop lourd... mais ce qui pousse surtout à arrêter l'aventure (nonobstant les blessures), c'est une disposition d'esprit qui n'est pas apte à supporter les exigences de Te Araroa.

Guillaume

Guillaume : Quelle est cette disposition d'esprit qu'il faut posséder pour achever Te Araroa ?

Loïc

Loïc : Il faut avoir la capacité à “se perdre” dans la nature, à être seul et en autonomie, bien plus que face aux éléments, à la météo, au terrain. C'est être capable d'être seul face à soi-même, seul avec soi-même. Je connais un nombre considérable de gens autour de moi qui sont incapable d'être seul avec eux-mêmes, se serait-ce que quelques heures, encore moins un week-end. Ils ont besoin de se fuir eux-mêmes, de trouver des distractions. Bien au-delà de la difficulté d'être seul face à la nature, de faire face aux difficultés du terrain ou du sentier, d'avoir le temps libre et les ressources financières pour la durée d'un tel projet, la seule chose qu'il faut pour être capable de réaliser cette aventure, ce qu'elle a de si extraordinaire, ce qu'il faut d'extra-ordinaire c'est d'être en capacité d'être avec soi-même, seul face à soi-même.

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Et si tout était à refaire ?

Après avoir parcouru près de 3000 km à pied, Loïc se sent capable d'affronter des randonnées encore plus difficiles.
Après Te Araroa, Loïc se sent prêt à relever d'autres défis.

Notre interview touche à sa fin, mais avant de partir j'ai posé quelques questions pratiques à Loïc. Ses réponses vous seront utiles si vous envisagez un jour de tenter l'aventure.

Guillaume

Guillaume : Je termine avec quelques questions pratiques. Peux-tu déjà nous dire quelles sont les différences principales entre l'île du Nord et l'île du Sud au niveau de la randonnée ?

Loïc

Loïc : L'île du Nord ce sont des forêts que nous appellerons “jungle”, des plages et des sentiers côtiers magnifiques, mais aussi des kilomètres de routes... et la civilisation avec ses inconvénients, mais aussi les rencontres qu'elle permet. L'île du Sud, c'est la solitude, les montagnes, l'autonomie, les refuges perdus, les paysages que nous avons tous en tête en parlant de la Nouvelle-Zélande. L'île du Nord c'est l'échauffement, et l'Île du sud, c'est là que tout commence vraiment !

Guillaume

Guillaume : Si c'était à refaire, que ferais-tu différemment ?

Loïc

Loïc : Je crois que j'allégerais encore plus mon sac à dos. Pourtant le mien devait peser dix ou onze kilos sans eau et sans nourriture, soit presque deux fois moins que lors de ma toute première expérience dans les Pyrénées.

Guillaume

Guillaume : Quel équipement, quel poids idéal recommanderais-tu ?

Loïc

Loïc : J'ai marché avec des gens qui passaient sous les 8 kg sur le dos. Des gens qui avaient fait des grands trails aux États unis, des gens pour qui la marche ultra légère est bien plus développée qu'en Europe. C'est une vraie découverte de s'apercevoir que l'on peut se dépouiller de tant de matériel. Certes, il sembler rassurant de conserver tout plein de bazars, mais l'on se sent plus libre et plus proche de la nature avec le strict nécessaire, et par conséquent plus léger et moins fatigué.

Guillaume

Guillaume : Et au niveau du rythme de marche ?

Loïc

Loïc : Je crois que j'essaierais de marcher moins vite... j'ai accompli les 3000 km du Te Araroa en cent jours de marche. Ce qui est finalement très court. J'aurais dû me calmer un peu... mais il est plus difficile qu'on le pense de ralentir le rythme. J'aurais peut-être dû faire plus de “détours” et sortir du sentier pour effectuer des boucles.

Guillaume

Guillaume : Est-ce que tu as rayé la NZ de tes futures destinations ou bien envisages-tu de revenir un jour ?

Loïc

Loïc : Je préfère la nouveauté. J'ai découvert qu'il y aurait un sacré bout de temps à passer sur l'île du Sud pour randonner, avec ses paysages magnifiques. Mais à l'heure actuelle alors mon esprit est encore plongé dans cette dernière aventure, à mettre en ligne les photos, monter les vidéos du périple, prochainement à écrire les notes journalières (et peut-être en faire un bouquin... qui sait !) je n'ai pas encore tout à fait fini l'aventure. Lorsque je passerai à autre chose, je sais que je chercherai un nouveau défi ailleurs, différent, plus loin, plus dur, plus long, plus sauvage... plus, plus, plus... quand bien même il y aurait encore bien à faire en Nouvelle-Zélande.

Guillaume

Guillaume : Il faudrait au moins un livre entier pour raconter un tel voyage en détail (je t'encourage à l'écrire), et cette interview n'offre qu'un rapide aperçu de ce que les lecteurs de Kiwipal peuvent retrouver sur ton site personnel. Je les invite d'ailleurs à consulter les liens indiqués ci-dessous pour découvrir des vidéos magnifiques que tu as réalisés durant ton périple. Et je te remercie bien entendu pour cette merveilleuse interview qui donnera à certains l'envie de se lancer à leur tour dans l'aventure !

© Photos copyright Loïc Jaffro.

Venez témoigner !

Guillaume Le Nistour, certifié expert par l'office de tourisme
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